Le modèle social européen a-t-il résisté à la montée des inégalités ?

À l’aune des élections européennes du mois de mai, le malaise se fait grandissant dans les classes moyennes européennes face à l’étiolement de la sécurité de l’emploi et à la peur du déclassement : Brexit au Royaume-Uni, vote populiste en Italie, manifestations des « gilets jaunes » en France. C’est qu’en effet, le rôle de l’Union européenne et sa résistance face aux inégalités interrogent. Le 2 avril, le Laboratoire sur les inégalités mondiales a publié l’étude “Inégalités et redistribution en Europe, 1980-2017“1, dans lequel il entend répondre à ces interrogations.

 

Cette étude réalisée par les économistes Thomas Blanchet, Lucas Chancel et Amory Gethin, qui ont notamment travaillé à l’harmonisation des données récoltées afin de permettre des comparaisons entre les pays européens, révèle un premier constat plutôt rassurant de prime abord. « L’Europe est l’un des continents qui a le mieux résisté à la montée des inégalités de revenus observée depuis les années 1980 », expliquent les trois auteurs. En effet, depuis 1980, le revenu moyen avant impôt des 50 % les moins riches a augmenté de 37 % en Europe, alors qu’il a, par exemple, stagné aux États-Unis. À l’inverse, les 0,01 % d’Américains les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 300 %, soit deux fois plus qu’en Europe. Les auteurs trouvent l’explication de cette résistance européenne dans son modèle social, l’accès à la santé et à l’éducation y étant moins coûteux si ce n’est gratuit (~28 % du PIB contre 19 % aux États-Unis).

 

Inégalités de revenus aux États-Unis et en Europe

S’il n’a rien à envier à ses voisins, le Vieux Continent ne déroge pas à la règle du creusement des écarts de revenus : depuis 1980, les 1 % d’Européens les plus riches ont vu leur revenu moyen croître deux fois plus vite que celui des 50 % les moins aisés. Aucun pays n’échappe à la tendance, toutefois les pays nordiques sont les plus égalitaires, tandis que c’est en Europe de l’Ouest que la part du revenu national captée par les 10 % les plus riches, avant impôts, est la plus élevée : 32,5 % en 2017, contre 31,2 % en Europe du Sud et 29 % en Europe du Nord.

 

Part du revenu après impôts perçue par les 10 % les plus riches (%)

Le modèle européen « s’érode peu à peu, notamment à cause de la concurrence fiscale accrue entre les États européens, qui a miné la progressivité de l’impôt ». En outre, dans son dernier rapport sur l’Europe2, la Banque mondiale estimait que le fossé croissant entre les emplois qualifiés et les emplois précaires est largement responsable de ce creusement. Néanmoins, le système de taxation et de transferts sociaux permet une correction des inégalités jusqu’à 29 % en moyenne en Europe de l’Ouest.

 

Plusieurs tendances sont actuellement à l’œuvre au sein de l’Europe. On constate d’abord une convergence entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. Depuis 2000, la croissance de l’Europe de l’Est est plus forte que dans l’ouest, et les salaires y progressent plus vite (+30 % en Roumanie et en Bulgarie). Cependant, cette hausse n’a pas encore compensé la baisse des revenus causée par la chute du régime soviétique, « la transition du socialisme au capitalisme ayant profité à une élite restreinte ».

 

Revenus nationaux moyens des régions européennes par rapport à la moyenne européenne

Les tendances dans la périphérie de l’Union européenne sont, en revanche, plus préoccupantes encore en raison de la crise de 2008 et de la part conséquente du chômage de longue durée qui a suivi. Les inégalités déjà fortes en 1980 n’ont pas évolué. Le revenu moyen des 50 % les moins aisés a même diminué en Grèce ou en Italie. Le taux de pauvreté en Italie est même devenu l’un des plus importants en Europe.

 

Enfin, afin de réduire ces inégalités, les trois économistes livrent leurs recommandations : l’Union européenne doit inciter les capitales à sortir de la concurrence fiscale et à renforcer la progressivité de leur fiscalité. De plus, ces derniers conseillent à l’Union européenne de déployer un impôt minimum commun sur les revenus et les sociétés.

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